Le Qatar connaissant un nombre de contamination très élevé (plus de 60.000) par rapport à sa surface et sa population, le coronavirus influe sur l’économie et, surtout, sur les projets de la Coupe du monde 2022.
Younes Belfellah
Chercheur & économiste
Le 09/06/2020
Le Qatar passe par une crise sanitaire sans précédent. Ce petit pays du Golfe connu par sa richesse du gaz et ses investissements à l’étranger enregistre des taux très élevés de personnes infectées par le coronavirus dans le monde arabe, surtout par rapport à une population restreinte qui ne passe pas 2.7 millions d’habitant dont seulement 300.000 qatariens. Plusieurs analystes s’interrogent sur l’efficacité des mesures prises par le gouvernement qatarien et la capacité des infrastructures de santé.
Dans ce pays ou la majorité des habitants sont des étrangers, plusieurs critiques ont été adressées par Amnesty International sur la situation des travailleurs migrants. Il s’agit des conditions très difficiles de travail en ce qui concerne les salaires, les heures du travail et la protection sociale. Amnesty International a demandé régulièrement au Qatar de protéger les travailleurs étrangers contre l’exploitation, les abus et la discrimination. L’organisation internationale a recommandé à l’Etat du Qatar de veiller à ce que ces personnes bénéficient des protections prévues par la législation du travail, afin de garantir leurs droits, notamment : une limitation du nombre d’heures de travail, des journées de repos, une rémunération pour les heures supplémentaires et la possibilité de circuler librement.
Dans cette conjoncture du Covid-19, les critiques d’Amnesty International vers le Qatar se multiplient par rapport à la gestion de la crise de la pandémie et également l’expulsion illégale des travailleurs étrangers dans la zone industrielle du Doha et les projets en cours pour l’organisation de la Coupe du monde 2022. Amnesty International a rappelé les autorités qatariennes par un communiqué officiel à veiller à ce que tous les travailleurs ayant été détenus et menacés d’être expulsés soient informés des raisons de ces mesures, aient la possibilité de les contester et garantir un recours effectif et des réparations à tous les travailleurs dont les droits ont été bafoués. De plus, Les autorités qatariennes doivent également assurer le droit à la santé de tous les travailleurs migrants soit garanti pendant la pandémie du Covid-19.
Dans un article d’investigation publié le 7 Mai 2020 dans le journal britannique The Guardian intitulé : “Qatar’s migrant workers beg for food as Covid-19 infections rise“, les journalistes Pete Pattisson and Roshan Sedhai ont publié des témoignages de travailleurs étrangers au Qatar sans domicile et sans salaire. Ces migrants souffrent d’une situation désastreuse et d’un désengagement des employeurs qatariens. Ils vivent dans la pauvreté, précarité et le besoin, ils ne disposent pas ni de logement ni de nourriture.
Au niveau économique, le coronavirus a poussé le Qatar à l’endettement à travers l’émission de 10 milliards d’obligations et 7,6 milliards de dollars pour financer le fonds gouvernemental de la santé. C’est le deuxième plus grand endettement dans l’histoire du pays, de même, la dette a signalé une hausse significative pour arriver à 54 milliards de dollars.
A ce point, des pertes énormes ont été enregistrées par Qatar Airways. Dans une interview pour la BBC, le directeur générale de la compagnie aérienne du Qatar Akbar Al Baker a déclaré une réduction de 20% des effectifs et un report de paiement des salaires de certains employés à la suite de la pandémie de Covid-19. Le secteur aéronautique a enregistré des pertes qui avoisinent 315 milliards de dollars dans le monde. Selon Bloomberg, Qatar Airways a besoin d’un miracle pour que tous les vols reprennent avant 2023 à cause du manque de la demande et l’augmentation des coûts. Le coronavirus a aggravé la situation financière de la compagnie impactée déjà par le blocus des voisins du Qatar. Il s’agit d’un blocus imposé par l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes unis, le Bahreïn et l’Egypte depuis juin 2017 suite à des accusations de déstabilisation de la région et financement du terrorisme adressés au Qatar.
Le blocus a engendré des mesures financières comme l’injection de plus de 50 milliards de dollars dans les banques du Qatar pour sauver les dépôts bancaires et éviter des manques de trésorerie. Le fonds souverain “Qatar Investment Authority” qui représente l’arme financière du pays avec 300 milliards de dollars d’investissement s’oriente vers une stratégie de repli. Ce fonds d’investissement dont 30 milliards en France à travers des participations aux capitaux des groupes français, comme Accor, Lagardère, Total, Vinci, LVMH et Le Printemps a réduit ses participations à l’étranger, notamment dans le Crédit Suisse, Veolia, Tiffany & Co et la Banque internationale à Luxembourg afin de se concentrer sur les investissements locaux.
A plus de deux ans de la coupe du Monde 2022 au Qatar, des inquiétudes accompagnent cet événement concernant des affaires de corruption et la capacité du Qatar à la réalisation des chantiers dans les bonnes échéances. L’état du Golfe craint que les effets économiques de la pandémie de Covid-19 affectent l’affluence dans les stades du tournoi. “Nous entrons dans une récession, et il ne fait aucun doute qu’il y a des inquiétudes quant à l’économie mondiale, et la capacité pour les supporters de payer le voyage”, a reconnu le secrétaire général du comité d’organisation, Hassan Al Thawadi. La pandémie de Covid-19 a déjà entraîné le report du championnat d’Europe de football et des Jeux olympiques de Tokyo prévus cet été.
Finalement, la crise du coronavirus a levé le voile sur les failles sanitaires et économiques du Qatar face à une volonté démontrée dans les deux dernières décennies de jouer un rôle géopolitique et financier dans le monde.
Par Younes Belfellah
Publié le 09/06/2020, https://www.marianne.net/agora/humeurs/quand-la-crise-du-covid-19-devoile-les-failles-sanitaires-et-economiques-du-qatar