Mohammed Ben Salmane, le prince héritier d’Arabie Saoudite, est en visite en France. En l’absence d’accords commerciaux majeurs, l’Elysée met l’accent sur la portée politique de la visite.
Younes Belfellah
Chercheur & économiste
Le 10/04/2018
La visite de Mohammed Ben Salmane en France, jusqu’à mardi, constitue la deuxième rencontre entre et le président français Emmanuel Macron. Lors de leur premier face-à-face en novembre dernier, l’enjeu principal était le sort du Premier ministre libanais retenu par Riyad.
La France avait alors contribué à débloquer une situation devenue intenable pour MBS. Depuis, le prince héritier a enchaîné les visites à l’étranger, dont une de quasiment trois semaines aux États unis, pour vendre au monde occidental sa nouvelle Arabie dénuée d’extrémisme religieux et ouverte au business.
Le plan «Saudi Vision 2030» incarne la transformation à l’œuvre de l’économie saoudienne, aujourd’hui trop dépendante de l’or noir, vers une économie diversifiée et moderne. De nombreuses réformes à forts effets d’annonces sont donc en cours : projets de vente de 5 % des parts de Saudi Aramco, privatisation de plusieurs établissements publics, promotion des services et du tourisme.
Lors d’un forum des investisseurs le 24 octobre dernier, il présentait le méga projet Neom, une ville futuriste à 500 milliards de dollars dans un projet transversal qui mêle tourisme, agriculture, industries numériques et nouvelles technologiques, où les robots devraient être plus nombreux que les humains.
«Seuls les rêveurs sont les bienvenus», déclarait alors le prince héritier à l’issue de ce forum. Et il est vrai qu’aujourd’hui, cette Arabie futuriste relève plus du rêve que de la réalité. Beaucoup de ces méga projets relèvent souvent de l’utopie que de projets viables et rentables du point de vue des investisseurs.
Selon le FMI, les performances macroéconomiques du royaume saoudien laissent à désirer. L’Arabie saoudite a connu une croissance économique très faible depuis deux ans et a même enregistré une récession en 2017 avec un déficit budgétaire qui dépasse 53 milliards de dollars.
Pour la France, il est évident que l’Arabie saoudite est une terre d’opportunités pour les investissements, et pas seulement pour l’armement. Mais la France reste un partenaire commercial mineur du point de vue Riyad, alors que la lune de miel avec Washington s’est confirmée et que MBS diversifie les relations diplomatiques du royaume.
Selon la direction générale du Trésor, les investissements directs à l’étranger (IDE) saoudiens en France représentent seulement 3 % des IDE saoudiens dans le monde, essentiellement dans l’hôtellerie. Dans le stock évalué à 830 millions d’euros fin 2016, 275 millions d’euros sont constitués par…
Étant donné que cette visite devrait donner lieu à peu de signatures de contrats mirobolants, l’Élysée met plutôt en avant la nouvelle méthode de coopération et le partage d’une vision commune des enjeux politiques au Moyen-Orient comme vecteur de cette visite.
Mais le président français est sur la corde raide, alors que 74 % des Français estiment inacceptable que la France vende des armes à l’Arabie saoudite, selon un sondage Yougov. Alors que l’aventurisme du jeune prince en politique étrangère s’accompagne d’un tournant autoritaire sur le plan intérieur, Emmanuel Macron doit commencer par nouer une relation de confiance avec MBS afin de tempérer ses actions dans un contexte régional explosif.
Plus que sur le plan de l’économie, c’est donc sur le volet politique que la voix singulière de la France est peut-être la plus attendue, en tant que puissance d’équilibre parlant avec tout le monde.
Par Younes Belfellah (économiste et consultant en relations internationales)
Publié le 10 avr. 2018, https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/mbs-en-france-pas-de-contrats-mirobolants-mais-une-vision-commune-131350