Alors que le Qatar subit un embargo économique depuis presque un an, de nombreuses tentatives de déstabilisation financière semblent se multiplier à l’encontre de l’émirat.
Younes Belfellah
Chercheur & économiste
Le 19/04/2018
La levée par le Qatar de 12 milliards de dollars sur les marchés financiers la semaine dernière confirme l’attractivité de l’émirat auprès des investisseurs, dont la demande pour cet emprunt s’élevait à plus de trois fois ce montant. Malgré l’embargo économique qu’il subit depuis le 5 juin 2017, le Qatar a surpris les observateurs par sa résilience. Dans un récent rapport sur le Qatar, le FMI estime que l’impact du blocus s’estompe, notant que le Qatar a su établir de nouvelles voies commerciales, notamment en renforçant ses liens avec la Turquie et l’Iran.
Néanmoins, au-delà des réformes économiques nécessaires pour sortir de la dépendance des hydrocarbures comme les autres pays du Golfe, le Qatar fait face à de nombreuses tentatives de déstabilisation financière depuis plusieurs mois, menées en sous-main par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.
Dès les premiers jours du blocus, la rumeur court les salles de marché que Riyad aurait ordonné à ses banques de vendre des riyals pour exercer une forte pression financière sur le riyal qatari. En parallèle, les Émirats arabes unis étaient en ordre de marche pour mener une véritable guerre économique contre le Qatar comme l’a révélé en novembre 2017 le site d’investigation américain The Intercept.
En se basant sur des mails de l’ambassadeur émirati à Washington, le sulfureux Yousef al-Otaiba, les journalistes révèlent qu’Abu Dhabi prévoyait de faire appel à une banque privée luxembourgeoise, Havilland, pour faire chuter la valeur des obligations d’États du Qatar à travers l’augmentation du coût de leur couverture afin de créer une crise monétaire et mettre à mal les réserves du pays.
Le Qatar a utilisé ses matelas de sécurité financière notamment des réserves monétaires qui avoisinent 40 milliards de dollars et du Qatar Investment Authority qui dispose d’une caisse de 340 milliards de dollars. D’ailleurs, c’est grâce à ce fonds souverain que le Qatar à fait face à des dépôts bancaires retirés en début du blocus en injectant 40 milliards de dollars dans le secteur bancaire.
Dans une interview au journal qatari “Lusail”, le directeur général de la banque centrale du Qatar Sheikh Abdullah bin Saud Al Thani explique : “Nous savons que les pays qui organisent le blocus contre nous et leurs émissaires tentent de manipuler et de saper notre devise, nos actifs financiers et produits dérivés, dans le cadre d’une stratégie coordonnée pour porter atteinte à notre économie. Pour faire face à cette situation, nous avons mis en place des mesures d’urgence”.
Pour faire face à ces attaques, le Qatar a annoncé en décembre 2017 avoir engagé le cabinet d’avocats Paul Weiss pour enquêter sur toutes les transactions sur le Riyal, afin d’analyser toutes les transactions sur le Riyal, notamment sur les marchés off-shore et évaluer quelles sont les institutions ayant participé à ces tentatives de déstabilisation financière.
En janvier dernier, une autre attaque a été lancée contre le Qatar à travers la manipulation des marchés monétaires et boursiers par la baisse du riyal sur le marché des changes. En effet, cette période a connu l’achat des obligations qataries à l’étranger et leur vente à un prix inférieur. En parallèle, deux avions émiratis pénètrent l’espace aérien qatari, ce qui vise à donner l’impression d’une menace de guerre et d’intimider les propriétaires de dépôts pour les retirer des banques et faire sortir de l’argent l’étranger, ce qui pourrait créer une crise de liquidité pouvant entraîner la faillite des institutions financières au Qatar.
Depuis, la tension ne baisse pas entre le Qatar et les Émirats arabes unis. Reuters révélait en mars que la banque centrale du Qatar demandait au Trésor américain d’enquêter sur NBAD Americas, la filiale américaine de la First Abu Dhabi Bank (FADB), qu’elle accuse de mener “un plan extraordinaire et illégal pour mener une guerre financière contre le Qatar, y compris par la manipulation des marchés des devises et des valeurs mobilières du Qatar”.
Alors que les États-Unis envisagent d’organiser un sommet avec les dirigeants des pays du Golfe au mois de septembre, le conflit larvé qui dure depuis juin 2017 ne semble pas près de se terminer. L’intensité de la guerre économique menée par les pays du quartet témoigne de la violente querelle qui oppose ces pays au Qatar. Un terrible gâchis, alors que la menace terroriste devrait unir tous les pays arabes sous une même bannière et que les pays du Golfe ont plus que jamais besoin de coopérer entre eux sur le plan économique pour préparer l’après-pétrole.
Par Younes Belfellah (économiste et consultant en relations internationales)
Publié le 19 avr. 2018, https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/le-qatar-face-aux-attaques-financieres-du-quartet-131942