L’émirat accusé de financer le terrorisme soigne son image à travers des Think tanks en Europe, notamment ROLACC en Suisse, présidé par le procureur général du Qatar. L’objectif est de mobiliser des journalistes, universitaires, députés et leaders d’opinion dans sa bataille de communication.
Younes Belfellah
Chercheur & économiste
Le 31/12/2020
Les financements douteux du Qatar ne cessent pas de se révéler. Une nouvelle affaire annoncée par Fox News, il s’agit du financement du Doha au Hezbollah, une organisation reconnue comme terroriste par les Etats-Unis et l’Union européenne.
Selon Fox News, un agent de renseignement privé appelé Jason G. est impliqué dans cette affaire. Ce dernier confirme qu’un membre de la famille royale aurait autorisé la livraison de matériel militaire au Hezbollah. Un dossier fourni par Jason G., et vérifié par Fox News, prouve le rôle joué par le membre de la famille royale qatari depuis 2017 dans un vaste programme de financement du terrorisme.
A ce point, Abdulrahman bin Mohammed Sulaiman al-Khulaifi, ambassadeur du Qatar en Belgique, l’Union Européenne et à l’OTAN, voulait acheter le silence de Jason G. par un montant de 750 000 euros. Jason G. a déclaré que lors d’une réunion en janvier 2019 avec al-Khulaifi à Bruxelles, ce dernier lui a déclaré : «Les Juifs sont nos ennemis ».
Le journal allemand Die Zeit aurait eu accès à un prétendu trafic d’armes qui venait de l’Est de l’Europe et qui serait contrôlée par le Qatar. De grosses sommes d’argent auraient ainsi transité en provenance de riches exilés qataris et libanais vers le Hezbollah. Parmi les sommes évoquées, on parlerait de plus de dix millions d’euros.
En 2014, le ministre allemand du Développement, Gerd Müller, a accusé le Qatar de financer des terroristes de l’État islamique, «Vous devez vous demander qui arme, qui finance les troupes de l’Etat islamique. Le mot clé ici est le Qatar – et comment traitons-nous ces personnes et ces États politiquement », a déclaré Müller à la chaîne publique allemande ZDF.
Les systèmes financiers et caritatifs du Qatar ont également été impliqués dans d’autres prétendus projets de financement du terrorisme. Le Washington Free Beacon a rapporté en juin dernier qu’un procès à New York a affirmé que les institutions qatariennes, dont Qatar Charity et la Qatar National Bank, finançaient des organisations terroristes. En Suisse, le Service de renseignement de la Confédération (SRC) examine les connexions suisses d’islamistes basés au Qatar et accusés de soutien à Al-Qaida par plusieurs pays du Golfe selon le journal Le Temps.
Dans ce sens, l’un des personnages qui intéressent le service, Abdulrahman al-Nuaimi, est le cofondateur de l’ONG Alkarama, basée à Genève et vouée à la défense des droits de l’homme dans le monde arabe. Un second, Ali Abdullah al-Suwaidi, préside l’Internationaler Islamischer Rat, une organisation musulmane basée à Berne avec le salafiste Nicolas Blancho, responsable du très controversé Conseil central islamique suisse (CCIS). Abdulrahman al-Nuaimi est un ancien directeur de l’association caritative Eid al-Thani, qui finance notamment la construction de centaines de mosquées à travers le monde. Ali Abdullah al-Suwaidi est le dirigeant actuel de cette fondation. Les deux Qataris auraient participé au financement de la branche d’Al-Qaida en Syrie, le Front Al-Nosra. Le Département du trésor américain avait désigné Abdulrahman al-Nuaimi comme «supporter d’Al-Qaida» et «terroriste global» en 2014 déjà.
Dans ce contexte, Doha est accusée de financer le terrorisme. Wikileaks a publié depuis quelques années d’une note diplomatique américaine qualifiant le Qatar de « pire pays dans la région » en termes de coopération avec Washington pour tarir le financement des groupes extrémistes. En Europe, et particulièrement en France, plusieurs travaux d’investigation ont lié l’argent du Qatar et le financement des mouvements islamiques. Qatar Papers : Comment l’émirat finance l’islam de France et d’Europe, un livre publié en 2019 par deux journalistes, Christian Chesnot et Georges Malbrunot, affirme que le Qatar a financé 140 mosquées et centres islamiques en Europe, pour un montant de 71 millions d’euros.
En suisse, le Qatar a créé un Think Tank pour soigner son image. Il s’agit du ROLACC un centre de recherche voué à la lutte contre la corruption et l’éthique. L’Emirat accusé souvent par des affaires de corruption surtout concernant l’organisation de la coupe du Monde 2022 ou dans le cadre du Lobbying politique. ROLACC est présidé par le procureur général de l’Emirat, Ali Bin Fetais al-Marri.
Dans une enquête publié en février 2018, le Point révélait son riche patrimoine : en cinq ans, il a acquis pour plus de 19 millions d’euros de biens immobiliers à Paris et Genève, des biens qui ne peuvent en être justifiés par son salaire de haut-fonctionnaire, Une villa dans le quartier chic de Cologny à Genève avec vue sur le Lac Léman estimée à 6,34 millions d’euros. Les bureaux genevois de son étonnant centre anti-corruption ROLACC, qu’il détient avec un membre de sa famille, à travers une société suisse, la GSG Immobilier SA. Un bien estimé à plus de 3 millions d’euros. De plus, Un hôtel particulier de trois étages, situé à deux pas de l’Arc de Triomphe à Paris pour une valeur de 9,6 millions d’euros.
Finalement, le Qatar appartient au top 10 des pays qui dépensent le plus en lobbying aux États-Unis depuis janvier 2017 avec presque 20 millions annuellement selon le rapport du Center for International Policy. Les Think-Tanks, en particulier ceux situés à Washington jouent un rôle prépondérant dans la vie politique américaine, des projets de loi à l’orientation de la politique extérieure. De même, l’Europe est perçue comme une terre de mission pour les lobbyistes ; l’objectif est de remporter la bataille de l’image à travers des cabinets d’avocats, des agences de communication, des instituts de sondages et des leaders d’Opinion.
Par Younes BELFELLAH, Chercheur et consultant en économie politique et relations internationales.
Publié le 31 Décembre 2020, https://blogs.mediapart.fr/younesbelfellah/blog/311220/le-qatar-et-le-financement-du-terrorismela-bataille-de-limage