Younes Belfellah, enseignant-chercheur en relations internationales et consultant en géopolitique, analyse la stratégie de la Turquie et de ses relations avec sa diaspora en France.
Younes Belfellah
Chercheur & économiste
Le 06/10/2020
Le discours du président Macron aux Mureaux (Yvelines) a mis l’accent sur le séparatisme islamiste et l’impact des influences étrangères sur l’Islam en France. Parmi ces influences, celle de la Turquie dont les Frères musulmans ne cessent d’infiltrer les réseaux religieux en France.
Avant l’attaque du 25 Septembre devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, Mohamed El Hassan Ould Dedew, leader des frères musulmans d’origine mauritanienne, résidant au Qatar et très proche de la Turquie, avait affirmé dans un enregistrement audio diffusé sur Youtube que l’attaque du journal français en 2015 “était bien méritée !” Ce proche de Youssef al-Qaradawi, parrain des frères musulmans et responsable du champ religieux au Qatar, a même lancé un appel au meurtre, sous forme d’une missive exhortant les musulmans à laver leur honneur en défendant le prophète. C’est aussi et enfin ce triste personnage, membre du conseil de direction de l’Union Internationale des Oulémas Musulmans, une autre instance proche des “Frères” qui a demandé aux musulmans de boycotter les produits français. Bref! Un véritable porte-parole du pogramme rêvé du reis turc.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2002, Erdogan ne cache pas son ambition de devenir le nouveau leader politique et religieux du monde musulman en affichant ses affinités avec le mouvement des Frères musulmans. La Turquie d’Erdogan ne cache pas non plus son projet de faire renaître l’empire ottoman par la mutualisation des pouvoir politique (sultanat) et spirituel (califat). Pour ce faire, Recep Erdogan, dont un récent référendum a considérablement renforcé le pouvoir présidentiel, n’hésite pas à user d’autoritarisme. Un autoritarisme de faits plus que mots. En 2016, suite à un coup d’état manqué, le tout-puissant président a mené une large purge contre des opposants, fonctionnaires, juges, journalistes et autres universitaires qui auraient pu le gêner dans son ambition néo ottomane.
En ce sens, Erdogan utilise un discours agressif vis-à-vis de l’Europe et la France en particulier, surtout après son échec d’accéder à l’Union européenne. La Turquie est passée en l’espace de vingt ans, d’un allié des Européens à une menace sur plusieurs niveaux. Cette fougue sans limite pourrait annoncer un avenir tumultueux, ce qui demande une nouvelle approche dans la relation franco-turque basée sur la clarté, la fermeté et la réciprocité. Plusieurs analystes critiquent le laxisme européen envers la Turquie, ce qui a permis à Erdogan de vouloir exporter son modèle d’islam turc et de renforcer le communautarisme dans les sociétés européennes.
Dans un discours destiné à la réforme de l’organisation du culte musulman, Emmanuel Macron avait affirmé à Mulhouse que“l’islam politique n’a pas sa place” en France. Le locataire de l’Elysée avait également épinglé la politique religieuse de la Turquie sur le territoire français, “on ne peut pas avoir les lois de la Turquie sur le sol de France”. ce faisant le président de la République a voulu montrer les risques réels du “séparatisme islamiste” couplé à l’entrisme de la Turquie qui ne se soumet pas aux lois de la République et qui refuse de coopérer sur l’envoi des imams et l’enseignement du turc en France. C’est pourquoi, lorsque Recep Erdogan a récemment annoncé la création de lycées turcs dans l’hexagone, le ministre de l’éducation nationale Blanquer a exprimé clairement son opposition.
Dans un rapport publié en 2018 et intitulé La fabrique de l’islamisme, l’Institut Montaigne souligne que cette diplomatie religieuse turque devient un instrument du pouvoir pour Erdogan. C’est une stratégie d’influence, de contrôle et d’instrumentalisation de l’Islam en France et en Europe afin d’avoir une expansion du fondamentalisme islamiste. Selon l’Institut Montaigne, “il s’agirait désormais pour la Turquie de prendre en main le destin des musulmans européens et d’apparaître comme leur protecteur”.
Cette stratégie repose également sur des relais religieux et politiques qui incarnent ce pouvoir turc. Notamment la direction turco-islamique des affaires religieuses (Ditib), l’organe de la diplomatie religieuse et l’Union des Démocrates Turcs Européens, une filiale européenne de l’AKP, le parti d’Erdogan, activement présente dans la région parisienne et à Strasbourg. C’est d’ailleurs dans la région du Grand Est que se trouve la majorité de la communauté turque qui compte quelques 700.000 personnes en France. En 2012, ce sont les membres de cette union qui avaient mené une violente campagne contre la loi pénalisant la négation du génocide arménien.
Mais l’efficacité de cette politique d’infiltration s’explique aussi par l’accompagnement de grands travaux comme le projet “Eyyûb Sultan” dont la feuille de route ne s’arrête pas à la seule construction d’une mosquée, mais aussi à l’érection de centres d’éducation, d’un collège et d’un lycée ainsi que d’une faculté de théologie islamique pour former des imams.
Cette présence turque est enfin renforcée par des médias de propagande afin d’influencer l’opinion publique française comme TRT en français, un groupe médiatique sous la tutelle du ministère des affaires étrangères en Turquie. Des sites d’information et d’analyse comme Medyaturk Info ou Red’Action, destinés à la communauté turque et musulmane en France, sont aussi des relais actifs de la propagande pro Erdogan.
Après le discours d’Emmanuel Macron aux Mureaux (Yvelines), il est donc nécessaire d’avoir une politique globale et une structuration nationale, régionale et locale de l’Islam. Pour ce faire, pour ne pas en rester aux discours, il faut impérativement que la France lance un plan de lutte contre l’islam politique pour faire émerger un islam libéré des influences étrangères, un islam éclairé et inséré dans la République.
Younes Belfellah, enseignant-chercheur en relations internationales et consultant en géopolitique, analyse la stratégie de la Turquie et de ses relations avec sa diaspora en France.
Publié le 06/10/2020, https://www.marianne.net/agora/humeurs/lingerence-turque-dans-le-champ-religieux-en-france