Le Qatar a profité du blocus qui l’affecte pour réformer son économie.
Par Younes Belfellah (économiste et consultant en relations internationales)
Younes Belfellah
Chercheur & économiste
Le 05/06/2018
Depuis un an, la région du Golfe vit une crise sans précédent. Le 5 juin 2017, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et l’Égypte annonçaient et la prévention du transit dans leurs terres, dans l’espace aérien et dans les eaux territoriales. Un choc pour un petit pays qui semblait alors coupé du monde, puisque son unique frontière terrestre qu’il partage avec l’Arabie saoudite était désormais close.
Les premiers jours du blocus, un sentiment de panique avait gagné la population à l’image des rayons de supermarché qui s’étaient vidés en quelques heures. En juin 2017, et 80 % d’entre eux étaient acheminés par voie terrestre en passant par l’Arabie saoudite. Le quartet misait alors sur une capitulation rapide de l’émirat, se croyant notamment soutenu à travers le président Trump, par l’ensemble de l’administration américaine.
A l’heure du premier anniversaire du blocus, le compte n’y est pas pour la coalition anti-Qatar. Doha a finalement surpris par sa célérité et sa créativité face à l’embargo imposé par ses voisins. La mesure la plus impressionnante restera sans doute l’importation par les airs de 14.000 vaches dans la gigantesque ferme de Baladna, afin d’être autosuffisant en lait d’ici la fin de l’année 2018.
Dans une note publiée en mars 2018, le FMI estime que le blocus n’a eu finalement qu’un «effet transitoire» sur l’économie qatarie. Après 2,1 % de croissance en 2017, l’émirat gazier devrait atteindre les 2,7 % en 2018. Les données de la banque centrale du Qatar illustrent la bonne performance financière de Doha avec plus de 218 milliards de dépôts et une augmentation de 6,6 % des gains des banques cotées en Bourse du Qatar.
Les banques assurent un bon niveau de solvabilité et de liquidité sans oublier que les réserves de change avoisinent 43,6 milliards de dollars. Selon l’institut Capital Economics, ces indicateurs reflètent des perspectives positives dans le secteur financier au Qatar.
Pourtant, le Qatar n’a pas été épargné par le quartet. De nombreuses tentatives de déstabilisation financière ont eu lieu ces derniers mois contre Doha. Des échanges de courriels de l’ambassadeur émirati à Washington, Yousef al-Otaiba, avec la banque luxembourgeoise Havilland dévoilent que les Émirats envisageaient de faire chuter la valeur des obligations d’États du Qatar à travers l’augmentation du coût de leur couverture afin de créer une crise monétaire.
En parallèle, l’agence Reuters révélait en mars qu’à la demande de la banque centrale du Qatar, le Trésor américain devrait enquêter sur NBAD Americas, filiale américaine de la First Abu Dhabi bank (FADB) sur ces agissements contre les devises et les valeurs mobilières du Qatar.
Le blocus ne fait d’ailleurs qu’attiser les rivalités entre les deux frères rivaux. Doha et Dubaï mettent tout en œuvre pour devenir le centre financier de référence de la région. Pour le président du Qatar financial centre (QFC), le blocus a plutôt permis d’accélérer des réformes financières qui traînaient et ont renforcé l’attractivité de Doha. De nombreuses initiatives (réformes, fiscalité, nouveaux produits) ont été lancées ces derniers mois afin d’atténuer les effets du blocus.
Ainsi, avant, la limite de la participation des investisseurs étrangers dans la plupart des groupes cotés qataris était de 25 %, limite désormais portée à 49 %. De leur côté, les Émirats arabes unis, dont la Bourse de Dubaï accumule des difficultés depuis quelque temps, vont autoriser des entreprises étrangères à détenir jusqu’à 100 % du capital d’entreprises sur leur territoire. Une compétition diplomatique et économique féroce, mais qui a le mérite d’accélérer le mouvement des réformes dans des monarchies pétrolières souvent lentes à lancer leur diversification économique.
Pour autant, le Qatar n’est pas tiré d’affaire. Si Doha a renforcé ses échanges commerciaux, notamment avec la Turquie, l’Iran et l’Inde, le blocus que lui impose notamment l’Arabie saoudite est un véritable obstacle à son développement. Qatar Airways est sans doute l’une des entreprises qataries les plus touchées par la crise.
Malgré ses prises de participation dans plusieurs compagnies aériennes (American Airlines, Air Italy), les interdictions de survol des pays du quartet obligeant les vols de Qatar Airways à passer par le ciel iranien contraignent le développement du hub aéroportuaire de Doha. L’hôtellerie et le tourisme continuent de tourner au ralenti.
Néanmoins, l’embargo a fonctionné comme un électrochoc sur l’économie qatarie. Alors que la crise s’enlise et que le récent achat de S-4000 russes par le Qatar a déclenché le courroux de Riyad, l’émirat gazier accélère à toute vitesse vers la transformation et la diversification économique. L’occasion pour le Qatar de devenir un modèle régional pour une région en quête de la voie pour réussir à sortir d’une trop grande dépendance aux hydrocarbures.
Par Younes Belfellah (économiste et consultant en relations internationales)
Publié le 5 juin 2018, https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/comment-le-qatar-a-transforme-lembargo-en-opportunite-133168