Younes Belfellah, chercheur et consultant spécialiste du monde arabe, analyse la manière dont le pouvoir algérien aime se défausser de ses problèmes sur d’autres pays, comme la France, le Maroc ou Israël.
Younes Belfellah
Chercheur & économiste
Le 21/10/2021
La junte militaire qui détient le pouvoir en Algérie ne cesse pas de créer des tensions diplomatiques à tous azimuts (France, Maroc, Israël,..) pour externaliser les problématiques sérieuses de gouvernance et de développement.
L’Algérie a décidé la fermeture de l’espace aérien aux avions militaires français de l’opération Barkhane et le rappel de l’ambassadeur d’Algérie. Alger réagit aux déclarations du président Macron concernant « le système politico-militaire fatigué » qui dirige l’Algérie et la « rente mémorielle fondée sur la haine de La France ». Cela vient, quelques semaines après la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc voisin, accusant le royaume « d’actions hostiles » à l’égard d’Alger, tout en critiquant le rapprochement entre le Maroc et Israël.
Dans ce sens, Alger adopte d’une façon continue un discours antisioniste et violent à l’égard d’Israël en faisant référence au nationalisme arabe et la cause palestinienne. Il s’agit d’un fonds de commerce médiatique pour pallier les difficultés internes et influencer l’opinion publique algérienne par la haine d’Israël.
Le régime algérien souffre d’une instabilité politique accrue, à la suite de la mouvance populaire appelée « Hirak » représentée par des manifestations pacifiques contre le pouvoir militaire et ses pratiques de corruption.
L’armée reste l’acteur majeur de la scène politique algérienne. Plusieurs indicateurs en témoignent, dont la répartition du budget de l’État par département ministériel qui fait de l’armée le premier bénéficiaire. La Défense s’approprie donc le quart du budget national de gestion, dépassant de loin les enveloppes allouées aux ministères civils. L’Algérie est le troisième importateur mondial d’armement conventionnel russe, et le premier importateur à l’échelle du continent africain. The Carnegie Endowment for International Peace souligne l’augmentation de la dépense militaire algérienne et l’engouement de l’armée algérienne à détenir les joyeux de l’économie à travers l’acquisition des grandes entreprises publiques.
Le « Hirak » demande un changement politique radical et s’est appuyé sur les profondes insatisfactions économiques, sociales et politiques de toutes les tranches d’âges, et de toutes les régions. Dans le « système » algérien, mis en place avec l’indépendance, l’armée et les services de sécurité contrôlent les structures politiques, et donc indirectement les richesses énergétiques du pays. Ce mouvement populaire subit des compagnes d’arrestation et de répressions.
Le Parlement européen a souligné la détérioration de la situation des droits de l’homme en Algérie, en rappelant que l’Algérie a connu un mouvement de protestation sans précédent (Hirak) en réaction à la perspective d’un cinquième mandat du président de l’époque Abdelaziz Bouteflika.
À l’occasion de la 47e session du Conseil des droits de l’homme qui a débuté à Genève le 21 juin 2021, Human Rights Watch et 81 autres organisations nationales et internationales de la société civile ont appelé les États à agir face à l’aggravation de la situation des droits humains en Algérie. Cette situation est marquée par la répression contre des manifestants algériens pacifiques, des journalistes, des groupes de la société civile, des défenseurs des droits humains, des syndicalistes, des avocats et des partis politiques.
Amnesty International a mentionné que les autorités algériennes ont arrêté et poursuivi en justice des manifestants pacifiques, des journalistes, des militants et des citoyens qui n’avaient fait qu’exercer pacifiquement leurs droits à la liberté d’expression, dans le cadre du mouvement de protestation de grande ampleur et que de nouvelles mesures législatives ont encore restreint les droits à la liberté d’expression et d’association, en instaurant de lourdes sanctions pénales.
La crise politique latente en Algérie depuis des années se déroule sur fond de situation économique tout aussi préoccupante. Les revenus du pays sont extrêmement dépendants de la rente des hydrocarbures (90 % des recettes). Cette rente instaure un système malsain de distribution de revenus qui décourage travail et prise de risque et empêche la diversification économique. Le chômage frappe officiellement 15 % de la population active, et de manière disproportionnée les jeunes.
Le FMI ne cesse d’alerter sur les faiblesses de l’économie algérienne, aggravées par la pandémie mondiale. Pour financer les investissements, le gouvernement algérien hésite à emprunter sur les marchés internationaux.
Le FMI pourrait en effet demander à l’Algérie de réduire fortement les emplois du secteur public, réduire les transferts sociaux et les subventions aux produits de base. 25 % du budget (environ 13,5 milliards d’euros) sont consacrés chaque année aux subventions de nombreux produits de base, de l’énergie, des transports, aides aux logements, éducation et soins gratuits.
En raison notamment de la crise sanitaire, le pays a enregistré une baisse de son PIB de presque 4 % en 2020. Parmi les secteurs les plus touchés, on peut citer celui des hydrocarbures (croissance négative de -13,4 %) ou les services marchands (transports, commerce, restauration…).
Dans une note de COFACE, l’Algérie est entrée en récession en 2020 suite à la crise de la COVID-19. Les investissements (37 % du PIB), notamment publics, qui concernent principalement les hydrocarbures, les infrastructures et le logement, ont été gelés. Le déficit courant s’est également creusé, causé par l’important déficit commercial, plus conséquent suite à la crise et la baisse des exportations d’hydrocarbures.
Les réserves de change sont passées de près de 194 milliards de dollars en 2014 à 44 milliards de dollars actuellement. La banque mondiale montre que le déficit budgétaire global devrait, selon les estimations, s’être accru pour atteindre 16,4 % du PIB en 2020, tandis que les risques liés aux financements accordés par les banques publiques à des entreprises d’État en difficulté ont considérablement augmenté. Malgré la forte contraction des importations et la dépréciation modérée du taux de change, le déficit du compte des transactions courantes aurait atteint 14,4 % du PIB. Selon Brookings Institute, la corruption administrative amplifie les disparités sociales et régionales et l’accès aux services publics entre le monde urbain et rural.
Si l’Algérie est dépendante à la Russie au niveau politico-militaire, le pays devient de plus en plus un bon marché pour les produits chinois et turcs. La Chine est devenue le premier fournisseur de l’Algérie. Et ce loin devant les partenaires européens traditionnels, français notamment, qui occupaient de longue date cette position. Entre 2016 et 2020, elle a renforcé sa présence commerciale avec une part de marché de 20 % et, en moyenne, plus de 8 milliards de dollars d’exportations annuelles. Le China Global Investment Tracker, estimait récemment que de janvier 2005 à juin 2016, la Chine avait obtenu 29 contrats en Algérie pour une valeur totale de 22,2 milliards de dollars.
De même, l’Algérie est le deuxième partenaire commercial de la Turquie en Afrique, le volume commercial entre les deux pays avoisine 5 milliards de dollars. La Turquie d’Erdogan se classe en tête des investisseurs étrangers en Algérie, plus de 1 200 entreprises turques sont en activité en Algérie dont trente sont des investisseurs directs, avec un montant de 3,5 milliards de dollars.
Finalement, le régime militaire algérien incapable devant les demandes du « Hirak » et en crise de légitimité populaire utilise l’appareil diplomatique pour vendre une image d’un pays résistant. Une diplomatie algérienne qui devient agressive, agitée et sans vision stratégique. L’Algérie risque un effondrement systémique qui va engendrer certainement des répercussions sécuritaires et politiques pas seulement dans la région du Maghreb mais aussi en Europe.
Younes Belfellah, chercheur et consultant spécialiste du monde arabe, analyse la manière dont le pouvoir algérien aime se défausser de ses problèmes sur d’autres pays, comme la France, le Maroc ou Israël.
Publié le 21/10/2021, https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/algerie-la-politique-de-lexportation-des-crises-internes