Rédaction MEDFOCUS
Younes Belfellah
Chercheur & économiste
Le 01/06/2022
Les relations historiques entre le Maroc et l’Union Européenne sont marquées par des accords bilatéraux depuis l’indépendance. En 2008, le royaume a obtenu un statut avancé auprès de l’UE, partenariat de coopération sur plusieurs activités de l’Union. C’était une première pour un pays non européen, qui va ainsi pouvoir bénéficier de certains avantages, sans toutefois adhérer aux institutions européennes.
Dès son indépendance, le Maroc a fait le choix de l’ouverture et de l’ancrage économique auprès de la Communauté économique européenne. Les premières relations ont été portées par l’accord commercial de 1969. Avec le dynamisme remarquable qu’ont connu les relations commerciales entre les deux parties, le Maroc a souhaité l’extension de l’accord pour intégrer de nouvelles dimensions.
Avec l’évolution de la Communauté économique européenne en Union européenne (UE) en 1993 par le Traité de Maastricht, le Maroc a demandé un partenariat plus global. Ceci s’est concrétisé par le Partenariat Euromed, dit aussi Processus de Barcelone, qui a été institué en 1995 à Barcelone.
En 2003, l’UE a conçu et formulé sa Politique européenne de voisinage (PEV) dans l’objectif d’améliorer ses relations avec ses voisins n’entrant pas dans le processus d’adhésion. Cette politique est essentiellement bilatérale, mais interconnectée avec les processus régionaux et sous régionaux. Des réunions ont été tenues en 2008 entre le Maroc et l’Union Européenne pour établir une stratégie de différenciation concrétisée par le statut avancé accordé au Maroc. Ce statut avancé représente une particularité dans les relations arabo-européennes et plus largement euro-méditerranéennes. Il s’agit d’un programme inclusif qui induit la création d’un dialogue politique et stratégique avec le Maroc incluant la démocratisation de la vie politique, et notamment la modification de sa législation en termes des droits de l’Homme et de gouvernance des institutions.
Dans le domaine économique, le statut avancé met l’accent sur l’intégration du marché, le développement des infrastructures et l’amélioration du climat des affaires au Maroc. Il facilite le libre-échange entre le Maroc et l’UE ainsi que le partage d’expériences. La collaboration entre les deux partenaires vise également les questions de sécurité, la lutte contre le terrorisme et les défis de l’immigration.
A ce point, c’est très intéressant d’évaluer les réalisations de ce Statut Avancé et d’analyser ses retombées sur la relation entre les parties. Sur le plan sécuritaire, le Maroc joue un rôle extrêmement important dans la lutte contre le terrorisme et contribue fortement à la régulation de l’immigration. Son expérience dans la lutte contre le terrorisme repose sur une approche multidimensionnelle, considérant à la fois les aspects sécuritaires, socioéconomiques et religieux.
Le Maroc a donc mis en œuvre des réformes du champ religieux en ce qui concerne la construction et la restauration des mosquées, la prise en charge matérielle des imams, leur formation continue par les oulémas, leur formation initiale par les universités, l’implication des mourchidates, femmes instructrices, la mise en place d’un encadrement administratif local du champ religieux et la gestion des services religieux souhaitée par la population.
Dans le domaine politique, malgré les avancées enregistrées au Maroc, le pays demande plus d’institutionnalisation et d’application des lois. On note un progrès en termes de droit de la femme avec le nouveau code de la famille (Moudawana), mais aussi avec la construction démocratique de l’État par le biais de la nouvelle constitution qui donne plus de pouvoir au chef de gouvernement et détermine les rôles et les responsabilités des organes de l’État ou encore la réforme de la justice. Le Maroc nécessite plus d’effort en matière de gouvernance publique, de séparation des pouvoirs et de renforcement d’une société civile libre et épanouie.
Sur le plan économique, les relations entre le Maroc et l’UE sont remarquables en ce qui concerne les échanges commerciaux. Le Maroc dispose de plusieurs atouts. Il a réalisé des acquis économiques très intéressants durant les vingt dernières années en termes de construction des infrastructures et des grands projets de développement comme le port de Tanger, la mise en place du TGV, le renforcement des réseaux des autoroutes, l’équipement et la modernisation des grande métropoles comme : Casablanca, Rabat, Marrakech, Tanger et Agadir. A ce point, le PIB du Maroc a évolué de 41.6 milliards de dollars en 1999 à 121.4 milliards de dollars en 2019. Le pays a fait un élan qualitatif en termes d’attractivité des investissements étrangers, le Maroc se hisse au 53ème rang dans le classement Doing Business publié par la Banque Mondiale.
Dans ce contexte, le Maroc a outillé son économie par des stratégies sectorielles comme le plan Maroc vert, le plan Azur et la vision du tourisme 2020,…ce qui a renforcé sa compétitivité. A l’encontre, l’impact de ces plans et projets sur le citoyen reste faible, cela demande une réforme de la loi du travail et du SMIC, une nouvelle fiscalité juste et l’investissement dans le capital humain.
Dans ce sens, l’administration publique joue un rôle très important dans la performance économique, parce qu’elle contribue à l’amélioration du climat des affaires, l’attractivité des investissements directs étrangers et l’incarnation de la confiance entre les services publics et le citoyen. Le grand challenge devant l’administration marocaine est la lutte contre la corruption, ce qui nécessite un grand travail en termes de gouvernance afin de déterminer et préciser les responsabilités de l’Etat en tant qu’actionnaire-entrepreneur, stratège- visionnaire et contrôleur-régulateur. De même, la séparation et l’indépendance des pouvoirs est un élément clé pour réussir les mécanismes de la gouvernance à travers la reddition des comptes et la transparence de l’information.
Finalement, les perspectives de cette relation entre le Maroc et l’Union Européenne sont caractérisées par une nouvelle doctrine de la diplomatie marocaine articulée autour des intérêts anciens du royaume (France, Union européenne, États-Unis et monarchies du Golfe) et des intérêts d’avenir (Russie, Chine, Israël et Afrique). De même, le retour du Maroc à l’Union africaine en 2017 après trente-trois années d’absence le transforme en un pays récepteur des migrations sub-sahariennes, ce qui implique le développement des infrastructures économiques et sociales pour l’accueil et l’accompagnement des immigrés en facilitant l’accès à l’éducation, au service de la santé publique, au logement, voire à l’entreprenariat, qui peut permettre à l’immigration de constituer un atout pour le développement local et régional.
A l’encontre, l’UE rencontre des enjeux sur sa politique étrangère et son modèle économique. Il s’agit de la montée en puissance du populisme, les conséquences du Brexit en matière d’intégration européenne, l’expansionnisme russe notamment à travers la guerre en Ukraine et la rivalité commerciale avec la Chine.