Rédaction MEDFOCUS
Younes Belfellah
Chercheur & économiste
Le 02/05/2022
Le Liban continue de s’enfoncer dans une crise sans précédent, sous l’effet de l’effondrement de son système financier, de la pandémie du Covid-19 et de l’explosion du 4 août 2020 dans le port de Beyrouth. Les taux d’inflation et de chômage sont très élevés, les Libanais ont donc enregistré une perte de 80 % de la valeur de leurs salaires, avec un salaire minimum qui ne dépasse désormais pas les 65 dollars par mois. La Banque mondiale prédit que cette crise sera « tout à la fois plus grave et plus longue que la plupart des crises économiques » de la planète en raison de l’absence «délibérée» de réaction des autorités publiques.
A ce point, la France a présenté une initiative politique aux dirigeants libanais depuis Août 2020 en proposant l’établissement d’un un «gouvernement de technocrate» et un programme de réformes économiques pour faire face à l’effondrement du pays et faciliter les négociations du Liban avec le Fonds Monétaire International.
Les efforts français ont rencontré une résilience forte par le Hezbollah qui ne cesse pas de faire un blocage politique à un gouvernement consensuel capable de surmonter les crises du Liban et déstabiliser la situation politique. C’est le cas de l’enquête sur l’explosion du port, qui est menée par le juge Tariq Bitar. Ce dernier a appelé des responsables politiques pour un interrogatoire et a émis des mandats d’arrêt pour d’autres. Le Hezbollah a mené une campagne politique contre le juge et a même envoyé son haut responsable de la sécurité le menacer. De plus, le Hezbollah a mobilisé les affrontements entre les différentes confessions religieuses, notamment les événements de Tayouneh en octobre 2021, alors que le spectre de la guerre civile plane toujours.
La présence du Hezbollah au sein du gouvernement libanais continue de se poser en obstacle devant une action officielle efficace contre les incidents terroristes associés au Hezbollah, souligne le rapport de la Force intérimaire des Nations-Unies au Liban (Finul).
Ce parti politico-militaire crée en 1982 détient le pouvoir dans le pays et accapare ses joyaux économiques sous les ordres de l’Iran. Le Hezbollah financé et armé par Téhéran met les battons dans la roue du gouvernement. Le Hezbollah compte faire monter les enchères dans les négociations sur les dossiers régionaux pour jouer la carte de la stabilité du Liban face à un nouvel accord nucléaire entre l’occident et l’Iran.
En définitive, les menaces du Hezbollah dépassent les frontières du Liban. Le « parti du Dieu » était responsable de plusieurs attentats dans plusieurs pays européens : Bulgarie, Chypre, Géorgie et la France. Le Hezbollah a conduit une série d’attentats en France du 23 février 1985 au 17 septembre 1986 provoquant au total la mort de 15 personnes et 300 blessés.
A ce point, le Hezbollah détruit l’initiative française et Paris semble prise en étau entre et la situation politique compliquée au Liban et les exigences du parti connu comme un proxy dans la stratégie d’expansion iranienne.
En définitive, l’avenir du Liban se semble plus passer par Paris, les dirigeants libanais s’activent et multiplient les rencontres avec des partenaires étrangers notamment des américains et russes. L’année dernière, une délégation du Hezbollah s’est rendue à Moscou pour rencontrer le ministre russe des Affaires étrangères qui a manifesté son intérêt aux capacités portuaires du Liban et notamment à Tripoli, dans le nord du pays, où c’est une société russe qui a gagné l’appel d’offres pour la gestion du stockage pétrolier. De plus, le Hezbollah a tissé un contact indirect avec les Etats-Unis à travers son allié le mouvement chiite « Amal » guidé par Nabih Berri le président du parlement libanais.
Le Hezbollah reçoit le financement et l’armement de l’Iran. Sigal Mandelker, l’ancienne responsable du renseignement financier et de terrorisme dans la trésorerie américaine a déclaré à la presse américaine en 2018, que le parti libanais reçoit annuellement 700 millions de dollars auprès de l’Iran et son financement a doublé 8 fois dans les 10 dernières années.
Dans ce contexte, le Hezbollah en plein croissance et son allié iranien impacté par les sanctions économiques américaines a ciblé d’autres sources de financement. Depuis des années, WikiLeaks a publié une note diplomatique américaine qui révèle un réseau international de trafic de la drogue mobilisé par l’Iran et le Hezbollah. Dans ce sens, L’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (UNODC) a publié un rapport en décembre 2019 qui montre clairement les pistes du trafic de drogues de l’Iran et le Liban vers l’Europe à travers « La route des Balkans ». The Washington Post a publié en Août 2020 une enquête sur les circuits de trafic de drogues utilisés par le Hezbollah et les banques libanaises complices dans les opérations de blanchiment d’argent.
L’Amérique Latine et l’Afrique de l’Ouest sont également des vecteurs de blanchiment d’argent et de trafic des drogues. Foreign Policy a levé le voile sur le réseau du Hezbollah en Amérique Latine à travers des institutions et des personnes impliquées dans le trafic de drogues en Colombie et Venezuela. Infobae est un portail argentin d’information a confirmé ces propos en citant que le Hezbollah exploite la zone opaque des « trois frontières » en Amérique Latine pour transmettre la drogue vers l’Afrique de l’Est dans une démarche de blanchiment d’argent par la suite.
Une nouvelle affaire de financement du Hezbollah a été révélée par Fox News. Il s’agit d’un financement du Qatar au Hezbollah à travers un agent de renseignement privé appelé Jason G., ce dernier confirme qu’un membre de la famille royale du Qatar aurait autorisé la livraison de matériel militaire au Hezbollah. Un dossier fourni par Jason G., et vérifié par Fox News, prouve le rôle joué par le membre de la famille royale qatari depuis 2017 dans un vaste programme de financement du terrorisme. Abdulrahman bin Mohammed Sulaiman al-Khulaifi, ambassadeur du Qatar en Belgique, l’Union Européenne et à l’OTAN, voulait acheter le silence de Jason G. par un montant de 750 000 euros. Jason G. a déclaré que lors d’une réunion en janvier 2019 avec al-Khulaifi à Bruxelles, ce dernier lui a déclaré : «Les Juifs sont nos ennemis ». Dans la même lignée, Le journal allemand Die Zeit aurait eu accès à un prétendu trafic d’armes qui venait de l’Est de l’Europe et qui serait contrôlée par le Qatar. De grosses sommes d’argent auraient ainsi transité en provenance de riches exilés qataris et libanais vers le Hezbollah. Parmi les sommes évoquées, on parlerait de plus de dix millions d’euros.
En somme, le Hezbollah exerce sa mainmise sur l’arène politique libanaise et construit avec l’Iran une offensive islamique au moyen orient. Une politique de fermeté et de sanction est une nécessité inéluctable pour contrecarrer ses rapports de force. Le « Parti du Dieu » est considéré comme une organisation terroriste par les autorités américaines, britanniques et allemandes. En ce qui concerne la France, il est temps pour de réagir et permettre au Moyen Orient de ne pas tomber dans l’escarcelle de la théocratie iranienne et de la milice chiite intégriste du Hezbollah, sa pièce maîtresse au pays du Cèdre.