La diversification économique devient une nécessité inéluctable pour l’Arabie saoudite, dont les hydrocarbures représentent encore près de 70% des revenus selon la Banque Mondiale. Pour les entreprises françaises, en particulier celles de la tech, la mise en œuvre de cette diversification constitue une opportunité de développement sur un marché jeune et connecté.
Younes Belfellah
Chercheur & économiste
Le 17/10/2018
Dans le cadre de la Vision 2030, le royaume d’Arabie saoudite a entériné la création d’un fonds souverain d’investissement de 2000 milliards. Financé grâce à la vente de 5% des parts d’Aramco, le Public Investment Fund entend devenir « le premier fonds d’investissement de la planète, représentant 10% des actifs mondiaux et un montant qui dépasse le PIB annuel d’une économie européenne comme l’Italie ». Les investissements étrangers sont en effet un pilier stratégique pour l’Arabie saoudite qui souhaite s’appuyer sur des pépites étrangères pour faire émerger des secteurs d’activité novateurs et développer son économie.
“Seuls les rêveurs sont les bienvenus”, a prévenu Mohammed ben Salmane, prince héritier d’Arabie saoudite, en annonçant la construction d’une mégalopole de 26 000 km2 sur les rives de la mer Rouge. Il s’agit de NEOM, cité du futur à la pointe des technologies et de la performance environnementale, évaluée à 500 milliards de dollars et présentée comme l’équivalent régional de la Silicon Valley. Grande comme deux fois l’Île-de-France, NEOM vise à faire de l’Arabie saoudite un hub commercial et économique mondial, en misant sur le développement de différents secteurs : l’énergie, l’eau, l’agroalimentaire mais aussi le digital, la culture et le divertissement. Le projet devra aussi permettre de contribuer au développement du secteur privé, le gouvernement ayant annoncé son intention de créer 450 000 emplois d’ici à 2020.
Dans ce contexte, l’enjeu pour les entreprises françaises est de se positionner dans le cadre de ce chantier hors du commun. Actuellement, la France n’est en effet que le huitième fournisseur de l’Arabie saoudite avec un échange commercial de 15 milliards de dollars. Les grandes entreprises françaises, à l’image de Total, Veolia, AccorHotels, EDF et RATP, ont commencé déjà une quête d’investissements dans le pays, avec le soutien affiché de la présidence française.
Outre les grands groupes, il convient toutefois d’encourager particulièrement la « Start-up Nation » – selon l’expression consacrée par Emmanuel Macron – à se positionner, l’Arabie saoudite offrant de nombreuses opportunités de développement sur un marché émergent et particulièrement connecté (« Digital native », la population saoudienne compte deux-tiers de jeunes de moins 30 ans).
Lors du salon Vivatech à Paris, l’Arabie saoudite a dévoilé par l’intermédiaire de la Fondation MISK, les balbutiements de sa stratégie sur les start-ups. Dans le cadre de la mise en œuvre du « Programme de leadership des entreprises nationales » qui vise à promouvoir 100 entreprises saoudiennes à l’international, le Royaume a mis en avant quelques success stories comme Nota Nota, une start-up qui compose des parfums à partir de capsules d’arômes grâce à une application mobile, et Lucidya, qui propose d’analyser le contenu de la Toile grâce à l’intelligence artificielle et a récemment monté un partenariat avec BizSpark, le programme d’accélération de Microsoft. L’Arabie saoudite a également fait part de son souhait de favoriser les synergies et les transferts de compétences dans les domaines technologiques et financiers.
Quatrième pays au monde le plus innovant, la France domine les demandes de brevets dans les secteurs de l’innovation et des nouvelles technologies, en particulier dans les objets connectés (IoT), l’intelligence artificielle, la robotique, la e-santé, la mobilité et les véhicules autonomes. Les start-ups françaises pourraient être impliquées sur de nombreux projets. Outre la ville de NEOM, qui veut devenir un vivier de nouvelles technologies (taxis volants, livraisons par drones, parcs éoliens, agriculture verticale, robots …), citons la ville industrielle de Jubail, avec un investissement prévu de 35 milliards de dollars concernant les mines de phosphate, et la ville de Ras al-Khair, où les investissements dans les engrais et l’aluminium demanderont un savoir-faire de pointe. De même, l’expertise de la France en matière de « smart city » et d’énergies renouvelables sera sollicitée pour la construction de la ville de Qiddiya, grande comme trois fois Paris, entièrement intelligente et dédiée aux loisirs (cinémas, parc d’attractions, safaris, courses automobiles…).
Pour ce faire, les entreprises françaises pourront s’appuyer sur les clusters saoudiens, comprenant des incubateurs, un soutien logistique et financier des banques saoudiennes et la possibilité de nouer des partenariats public-privé. Le Royaume encourage par exemple les entrepreneurs à faire appel à la King Abdullah University of Science and Technology (KAUST), une université qui rassemble des chercheurs de plus de 100 nationalités pour faire progresser la recherche scientifique. Les entrepreneurs peuvent s’adresser au département « Innovation et Développement Economique » qui comprend un centre d’incubation et une pépinière de business angels.
Alors que la France est décrite par le New York Times comme le prochain leader technologique en Europe – notamment dans la perspective du Grand Plan d’Investissement, lequel prévoit d’injecter 9,3 milliards d’euros dans le numérique et 10 milliards d’euros pour la promotion des investissements technologiques d’ici 2022 – ne négligeons-pas le potentiel de collaboration avec l’Arabie saoudite qui permettrait de positionner la « Start-up Nation » française sur un pied d’égalité avec les Etats-Unis.
Par Younes BELFELLAH, Economiste et consultant spécialiste du monde arabe.
Publié le 17 Octobre 2018, https://blogs.mediapart.fr/younes-belfellah/blog/171018/vision-2030-en-arabie-saoudite-des-opportunites-pour-les-entreprises-tech-francaises