Les coûts de la crise, le changement économique et la rivalité des grandes puissances sont autant de facteurs pour avoir une nouvelle stratégie européenne.
Younes Belfellah
Chercheur & économiste
Le 07/04/2020
Suite au sommet de G20 tenu en visioconférence sous la présidence de l’Arabie Saoudite, les grandes puissances décident de soutenir l’économie mondiale par 5000 milliards de dollars afin d’atténuer les effets du coronavirus. Selon Bloomberg, les pertes des marchés financiers sont énormes, la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (UNCTAD) estime des dégâts directs dépassant 1000 milliards de dollars, dont 250 milliards seulement dans le secteur aérien.
Dans ce sens, la crise du coronavirus vient dans un contexte très compliqué et marqué par une guerre commerciale entre les États-Unis et la chine, le Brexit et la montée en puissance des manifestations sociales dans les pays du Nord comme dans les pays du Sud. À ce point, on est face à une conjoncture économique difficile qui va engendrer une austérité dans les dépenses publiques et un protectionnisme commercial. Les banques ont un rôle prépondérant pour injecter des fonds et garder la solvabilité des entreprises. De même, l’État doit renforcer davantage le secteur public et assumer ses devoirs de stratège, investisseur, contrôleur et régulateur pour faire face à l’augmentation de la pauvreté et du chômage.
Certainement, on passe par un moment historique de transition économique. Le monde a connu un changement d’un paradigme économique basé sur l’agriculture comme secteur principal au paradigme industriel qui a développé les modes de production et la loi de travail. Par la suite, on est arrivé à un paradigme fondé sur la technologie, qui incarne une révolution numérique par le biais de l’internet des objets et l’innovation des systèmes d’information. Actuellement, on converge vers un nouveau paradigme économique qui combine les connaissances, les valeurs et l’environnement.
Ce changement va créer une crise de confiance entre les différents acteurs économiques. De même, la réforme des organisations internationales devient une nécessité inéluctable. Ces institutions ont été constituées dans le 20e siècle et n’arrivent plus à comprendre la nouvelle génération des problématiques économiques. Plusieurs critiques s’adressent à la mondialisation et au capitalisme dans cette conjecture du coronavirus. Dans le néolibéralisme, il y a des gagnants et des perdants et pour gagner, les États doivent surmonter les limites de la mondialisation à travers la gestion rationnelle des ressources et l’amélioration des mécanismes du commerce international.
Dans ce contexte, l’économie du 21e siècle doit contrecarrer la pauvreté, les inégalités sociales et le chômage surtout avec le boom démographique. La population mondiale va progresser de 7,7 milliards en 2020 à 9,7 milliards en 2050 pour atteindre 11 milliards à la fin de siècle. Cela implique plus d’investissement dans la sécurité, l’enseignement et les infrastructures médicales et sanitaires. Les économistes signalent également des défis à prendre en considération pour les prochaines décennies : l’immigration, les changements climatiques, les biotechnologies, l’intelligence artificielle, la recherche spatiale et la géopolitique du gaz.
Ces profondes mutations révèlent le questionnement sur les puissances économiques. La Chine confirme ses capacités économiques et son influence étrangère surtout avec des aides médicales envoyées pendant cette crise du coronavirus à plusieurs pays, notamment des pays européens. La Chine détient plus de 15 % de l’économie mondiale et s’impose comme le principal investisseur dans le monde. En Afrique seulement, les investissements de la Chine dépassent 170 milliards de dollars et un échange commercial qui avoisine 450 milliards de dollars. De plus, Pékin dispose du grand projet de la route de la soie qui vise la manipulation du commerce international en passant par plus de 60 pays. L’ambition chinoise est freinée toujours par la domination du dollar américain comme un déterminant économique mondial et par son incapacité à concrétiser des alliances économiques avec des puissances asiatiques émergentes comme l’Inde, le Japon et la Coré du Sud.
Face aux enjeux chinois, les États-Unis se désengagent des affaires internationales et se focalisent davantage sur des intérêts militaires et financiers. La crise du coronavirus agit comme un catalyseur de la rivalité sino-américain, l’Europe se retrouve réduite au mieux à un rôle de spectateur, au pire à celui du champ d’affrontement. La France et l’Allemagne ont une responsabilité particulière pour unifier les Européens autour d’une vision commune et pour créer des leviers de croissance économique.
En somme, l’année 2020 est un moment de vérité pour l’Europe. La restructuration des institutions européennes est une nécessité pressante, cela exige une volonté politique et un projet inclusif, porteur de progrès et de développement.
Par Younes Belfellah (économiste et consultant en relations internationales)
Publié le 7 avril 2020, https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-vers-une-nouvelle-gouvernance-economique-mondiale-1192888