Le Koweit a annoncé une nouvelle feuille de route économique, baptisée “Vision 2035”.
Younes Belfellah
Chercheur & économiste
Le 04/08/2018
La mondialisation des marchés, la compétitivité économique, l’économie du savoir et la prolifération des nouvelles technologies d’information et de communication sont autant de facteurs qui propulsent les changements économiques dans la région du Golfe. L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar ont mis en place des plans d’action pour diversifier leurs économies et faire face aux enjeux de l’après-pétrole.
À ce titre, Le Koweït a également annoncé une nouvelle feuille de route économique baptisée ” Vision 2035 “. Ce pays représente une exception dans cette région par sa position géographique, son ouverture politique incarnée par le biais d’une monarchie constitutionnelle, une pluralité politique, un parlement actif et une législation avancée en matière de liberté d’expression et des droits des femmes comparée à celle des autres pays de la région.
Cette vision cherche une diversification économique pour dépasser la rente pétrolière et s’ouvrir à d’autres secteurs d’activités. Il s’agit des investissements de 100 milliards de dollars dans des secteurs importants comme la finance, les nouvelles technologies, l’immobilier, le transport, les industries et les infrastructures. Cette diversification est très importante pour le Koweït dont le pétrole représente 90% des recettes. D’ailleurs, le Koweït dispose de 6% des réserves pétrolières mondiales avec un stock financier de 600 milliards de dollars.
La vision 2035 contient plusieurs mesures qui visent la simplification des procédures administratives, l’attractivité des investissements directs étrangers, le développement du climat d’affaire pour le secteur privé et le développement durable par l’investissement dans les énergies renouvelables. Dans ce sens, le Koweït nécessite un nouvel arsenal juridique, une fiscalité flexible, une bonne gouvernance publique et une administration dynamique capable d’améliorer le climat d’affaire et de lutter contre la corruption. À ce point, le pays se prépare pour devenir un hub financier et commercial mondial en augmentant la participation du secteur privé de 35% à 60% du PIB en 2035. Un rapport de l’ICAEW( The Institute of Chartered Accountants in England and Wales) explique que le Koweït détient un énorme potentiel pour devenir une économie compétitive et productive, surtout que le pays détient l’ancienne bourse des valeurs dans la région du Golfe avec une présence forte des grandes entreprises multinationales.
De même, la vision 2035 lance un programme de développement humain inclusif qui concerne au moins deux générations. Il s’agit de l’amélioration de la qualité des services publics, notamment l’éducation et la santé. Le Koweït a communiqué un plan de développement des compétences nationales qui privilégie l’emploi des koweitiens plutôt que les étrangers. Ce plan doit être accompagné par une réforme de la loi du travail et une étude prévisionnelle des emplois et des compétences dans le pays afin de détecter les besoins et cibler les talents en termes de ressources humaines.
La diversification concerne également les partenaires économiques. Le Koweït a signé avec la Chine des contrats d’investissement de 450 milliards de dollars à travers des projets de développement dans les îles de Failaka et Bubiyan. Il s’agit de la construction d’hôtels, de bâtiments, d’hôpitaux, d’universités et de centres commerciaux, ainsi que le projet de la ville de la soie qui incarne l’esprit d’une ville intelligente dotée d’une modernisation et une numérisation des services avec une valeur globale de 86 milliards de dollars. Le site américain CNBC (Consumer News and Business Channel) a levé le voile sur d’autres projets: le TGV de 18.6 milliards de dollars, une station de production d’électricité de 8 milliards de dollars et des contrats d’achat de 45 avions avec une valeur de 3.75 milliards de dollars signés entre la compagnie aérienne du Koweït Wataniya Airways et la compagnie française Airbus.
De plus, la vision 2035 peut reposer sur la diplomatie koweitienne qui représente un facteur politique très pertinent pour la réussite du pays. Une diplomatie marquée par sa présence active et pragmatique ainsi que sa capacité à gérer les crises. Cela a été vu dernièrement à travers la crise avec les Philippines. Les deux pays ont conclu un accord sur le travail des domestiques, ce qui met fin à plusieurs semaines de crise diplomatique entre les deux pays.
En effet, le Koweït garde des relations équilibrées avec les acteurs de la région arabe à savoir: l’Iran et la Turquie. Le pays ne cesse de présenter des aides à ses voisins pour promouvoir la stabilité. Le Koweït a organisé une conférence internationale en février 2018 pour la reconstruction de l’Irak. Ce qui a permis à ce dernier d’avoir 30 milliards de dollars pour rebâtir écoles, hôpitaux, routes, transports, habitations, construire des raffineries de pétrole et de centrales électriques dans ce pays ravagé par des guerres à répétition. Dans la même lignée, le Koweït été parmi les premiers pays qui ont accordé une aide de 2,5 milliards de dollars à la Jordanie, qui traverse une grave crise économique et sociale.
Le Koweït s’est engagé à jouer le rôle du médiateur dans la crise opposant le Qatar à l’Arabie saoudite et ses alliés. Fondé en 1981, le Conseil du coopération du Golfe est une union politique et économique qui comprend l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Koweït, le Qatar et Oman. Le Koweït confirme que la continuité du CCG est une nécessité inéluctable pour l’intégration économique et la stabilité de la région.
En somme, le Koweït a des atouts politiques et socioculturels pour réussir sa transition économique et présenter un modèle de croissance dans la région du Golfe.
Par Younes BELFELLAH, Économiste spécialiste du monde arabe
Publié le 04 août 2018, https://www.lecho.be/opinions/carte-blanche/vers-une-diversification-economique-ambitieuse-pour-le-koweit-en-2035/10037100.html